Claude Rosticher
Claude Rosticher
Claude Rosticher ou la poésie à l’œuvre.
par Simon Njami
Aborder l’œuvre d’un peintre ou télécharger pocket option pour pc d’un artiste sur plusieurs décennies est une gageure. Car l’œuvre, comme l’homme, évolue au gré d’événements qui ne sont pas nécessairement rattachés à la création artistique. Il s’agit alors de traquer la trame, de chercher le fil d’Ariane qui fonde la cohérence d’une œuvre. On parcourt une biographie. Mais qu’est une biographie sans les signes cachés, indéchiffrables pour un profane ? Mettre en parallèle l’œuvre et la biographie. Chercher les points de fuites, les points de convergences, quand bien même certains rapprochements improbables nous apparaîtraient. Suivre, comme un https://www.pocketoption-trade.fr/download-app enquêteur minutieux une intuition tenace. Comment entrer dans une œuvre sans cette outrecuidance-là ? Sans cette audace prométhéenne de voleur de feu ?
Posons le décor. Les faits. Claude Rosticher est un enseignant qui a cessé d’enseigner. Il est mari. Il est père. Cela peut paraître banal, ordinaire. Pourtant ces deux expériences inscrivent l’homme dans un espace charnel et matériel, dans le même temps où ils le placent dans une perspective https://pocketoption-trade.fr/download-app d’éternité. Ainsi savons-nous que s’il y a eu un avant, il y aura un après. Il existe donc en l’homme cette évidence de la transmission. Cette conscience d’un tout dont nous ne serions qu’un élément presque accidentel, un rouage. Si j’insiste sur cette notion que nous pourrions nommer « famille », ce n’est pas tant pour souligner la paternité que pour mettre en lumière la nécessaire filiation. Comme une histoire dont il nous reviendrait d’écrire les chapitres nouveaux à chaque génération. C’est peut-être dans cette histoire-là qu’il faut chercher ce qui a fait de Claude Rosticher l’artiste qu’il est. Un peintre qui n’a pas encore achevé sa quête. Un être qui dès son enfance a été introduit à la douceur de créer. On pourrait le camper, sans doute, en adepte de Proust et de la fameuse Madeleine. Sa vocation s’expliquerait par une évidence : il est devenu peintre parce qu’il devait être peintre. C’est simple. Trop simple, peut-être. Mais la recherche d’une enfance sublimée n’est pas chose rare. Le désir de contenir le temps. Cette nostalgie qui passe par les sens plutôt que par la raison. Peut-être. Son grand-père, puis son père, furent ainsi des paysagistes. Des chroniqueurs fidèles de la vie monégasque. Naturellement, le fils Claude nourrissait d’autres ambitions. Il s’agissait d’élever ce qui, jusqu’alors, n’avait été qu’une marotte familiale à un autre niveau d’exigence. Mais demeurait dans la mémoire de l’artiste cette musique particulière, cette éthique de l’amateur.
L’humilité tout d’abord. On ne décide pas de devenir un artiste pour sa propre gloire, mais pour servir un idéal supérieur. Sans aller aussi loin que le sculpteur Sud-Africain Jackson Hlungwani qui déclarait qu’il n’était qu’un instrument entre les mains de Dieu, Rosticher se situe certainement dans la lignée des passeurs. De ces êtres qui s’effacent devant l’ineffable qu’ils cherchent pourtant à nommer, au fil des œuvres. L’art, pour lui, est une affaire trop sérieuse pour qu’on la prenne au sérieux. Se considère-t-il comme un artiste ? Sans doute. Mais sans la connotation un peu prétentieuse, un peu intellectualisante qui, à l’aube des années quatre-vingt, a vidé ce mot de tout son sens. Artisan est un mot qui a la même racine que le mot artiste à ce détail près qu’il n’en a pas la prétention. C'est de cette trempe d’artisans qu’est Claude Rosticher et qui explique que cet homme soucieux de sa liberté d’homme ait choisi de suivre les chemins de traverse. Tout artiste est contradictoire et paradoxal. Mais nous sommes ici confrontés à la complexité qui sous-tend toute volonté créatrice. Issu d’une famille d’artistes, des amateurs, Claude Rosticher a été bercé au plaisir simple de faire. Non pas pour satisfaire la galerie, mais en quête d’une jouissance intime.
Longtemps, Claude Rosticher a balancé entre deux passions : le tennis et la peinture. Mais pour l’une comme pour l’autre, il a montré les mêmes dispositions. Doué, certes, mais dilettante. Or le tennis, comme la reconnaissance artistique, exigent un engagement de tous les instants, une voracité et une férocité qui n’entraient pas dans le caractère de cet artiste qui dira : entre être célèbre et mes amis, je choisis mes amis. Or, on ne s’engage plus en peinture de cette manière, à notre époque où le marketing et le positionnement ont pris le pas sur le travail. Le sport demandait « d’être un tueur », et l’art réclame une bonne dose d’égoïsme, d’égocentrisme. Autant de dispositions contraires à la nature de Rosticher dont la discrétion témoigne plus d’une âme solitaire et, osons le mot, romantique que d’une nature mondaine et facile. Dans le même temps, cela traduit sans doute également de cette absence de confiance en soi que l’on peut parfois nommer arrogance. Il me semble que l’artiste, lorsqu’il se trouve livré à la solitude de son atelier est son principal ennemi, le premier frein à son propre épanouissement. Pourvu qu’il est le souci de l’honnêteté. Pourvu qu’il mette en vis-à-vis le projet qui couve en lui et le résultat final. Cette incertitude à l’égard de soi-même, cette manière de timidité est la marque d’êtres dont la conscience n’est jamais en repos, dont les sens, ouverts à tous les mouvements du monde, ont une conscience exacerbée de la finitude de notre condition humaine. D’où cette forme d’attirance/répulsion face à la mission que l’on s’est désignée. Peut-être trouverons-nous là, dans cette déchirure d’une âme contradictoire, la clé qui permettrait d’aborder son œuvre.
Rosticher hésite entre épouser totalement son temps et ses convulsions et se tenir en retrait, dans une tour d’ivoire où le bruit du monde ne parvient pas. Traversé par les différents courants picturaux du siècle, il n’hésite pas à se promener entre figuration et abstraction, jeux de mots dérisoires et actionnisme. Mais l’action, ici encore, n’a rien à voir avec le spectaculaire grandiloquent de l’école autrichienne menée par Herman Nistch. L’aventure qui l’a lié au groupe Signe dans les années 70 n’est rien d’autre qu’une utopie. L’utopie d’un art utile et social. Un art réconcilié avec le peuple et descendu des cimaises des galeries et des musées parisiens. L’artiste comme citoyen. On pourrait être surpris de l’engagement d’un être singulier et secret dans une aventure collective où l’individu doit se plier à la règle commune. Ce serait mal comprendre l’homme. Cette expérience, au contraire, est en droite ligne avec sa philosophie personnelle. L’artiste n’est pas un surhomme ni même un Albatros. C’est un passeur. Et en ces périodes troubles où la France se cherchait un nouvel avenir, il a tenu, lui aussi, à apporter sa pierre à l’édifice. À la recherche d’un idéal perdu, peut-être, il ne craint pas ses propres folies. Si elles peuvent l’effrayer parfois, jamais il ne les renie. Au-delà de l’idéologie post-soixante-huitarde qui perçait sous le masque, le groupe Signe fut une expérience environnementaliste. Écologique, presque.
La nature occupe une place importante dans son œuvre. C’est un homme de la terre, plutôt qu’un rat des villes. Il ne peint pas pour plaire. Il n’est pas mondain. C’est la liberté de l’artisan que de n’avoir de comptes à rendre à personne. De prendre le temps d’explorer ses mondes intérieurs sans tenir compte de l’air du temps. C’est à ce prix que l’on peut maintenir en soi l’harmonie. C’est sans doute la raison pour laquelle, bien qu’il soit les deux pieds ancrés dans le monde contemporain, il passe outre les codes et les modes pour ne suivre que sa propre impulsion. Poète, il l’est sans doute, comme tous les artistes vrais. Mais de la trempe d’un René Char ou d’un Brassens. Il ne prétend pas, comme beaucoup dans la posture de l’artiste comblé, que la peinture soit toute sa vie. Il est conscient qu’il faut sortir de la peinture pour mieux y entrer. Alors il compose des poèmes qu’il met en musique et chante en s’accompagnant de son éternelle guitare. Des poèmes qui lui ressemblent. Des poèmes qui, à l’image de sa peinture, refusent toute concession. D’où l’immédiate vérité qui sourd de son œuvre. Sans afféterie. Le monde qu’il développe à travers son œuvre est un monde où l’humain est au cœur de la préoccupation de l’artiste. D’où ces allers-retours d’une période à une autre, ce mouvement oscillatoire permanent, une faim qui ne dit pas son nom. La peinture de Rosticher, est, c’est l’un des nombreux paradoxes, intimiste, au sens où elle ne s’expose pas aux yeux de la grande foule, ni ne se donne à lire. Elle constitue, lorsque l’on regarde l’ensemble de l’œuvre avec le recul du temps, comme un journal intime dans lequel les touches de couleur, les lignes, les visages, constitueraient comme autant de notations, de notes en bas de pages. Le trait est souvent furieux, rageur dans ses abstraits, dans le même temps que perce un calme inébranlable, une douceur de vivre qui est à l’origine de ces hymnes subtils, où jamais la couleur ne prend le pas sur le trait. Le mouvement, le rythme, les deux sésames du contemplateur.
D’où l’ancrage nécessaire dans un terroir, dans un imaginaire familial certes, mais également dans une lumière et une nature spécifiques. L’« amateur » est généreux et fier. Paris ne fut pas un mirage. Au mieux, un rendez-vous manqué. Un rendez-vous sans cesse reporté parce qu’inutile, sans doute. Nous trouvons ici l’illustration de ce que Gide définissait comme devant être l’engagement. Lorsque chaque geste poursuit un autre but que soi-même. Professeur et militant de l’art, il a accompagné ses élèves. Discrètement. Avec un sourire amusé, parfois, devant la matérialité avec laquelle certains de ses élèves envisageaient le monde. L’œuvre ne saurait tout entière être contenue sur la toile. Elle doit se rechercher ailleurs, aussi, si elle a du sens. Hors du marché qui calibre et conditionne, hors de la critique. Elle doit se rechercher à côté. Cet à côté qui nous brosse dans une totalité signifiante, le sens d’une vie. Trait de caractère du personnage, cette volonté farouche de rester libre. Car l’œuvre et l’homme sont indissociables. Et cette évidence : le travail de Rosticher, une véritable écriture de poète, se lit à mes yeux comme un carnet intime, une série d’autoportraits. Qu’il s’agisse de natures mortes, d’abstraction ou de figuration, l’œuvre de Claude Rosticher parle avant tout de Claude Rosticher, comme un électro-encéphalogramme très précis. D’où cette apparente incohérence, parfois, dans la trajectoire générale qu’il nous est donné à voir. Guidé avant tout par le bouillonnement de son espace intérieur, c’est à ce dernier et à lui seul qu’il obéit. D’où les allers-retours permanents. Le style n’est rien s’il ne symbolise pas un reflet de l’âme de celui auquel il appartient. Les sensations, les réflexions et les états d’âme, les parfums même, sont ici à l’œuvre, comme à travers un livre ouvert. Fleurs, oiseaux, montagnes, visages sont comme autant de rouleaux de papiers noircis sur le livre ouvert qu’est l’âme de l’artiste. Une âme d’homme, tout simplement.